INDICATEURS RELATIFS AUX DROITS DE L’ENFANT

 

 INDICATEURS RELATIFS AUX DROITS DE L’ENFANT

ETUDE DE CAS DU SENEGAL, 1995

FATOU FALL DIA, NAFY GUEYE DIAGNE, ABDOUL KARIM GUEYE & SIDY GUEYE

 

 

INTRODUCTION

 

L’objet du présent rapport est de rendre compte des résultats d’activités de recherche sur les indicateurs relatifs aux droits de l’enfant au Sénégal. Ces activités s’inscrivent dans le cadre des efforts déployés par Childwatch International, Plan International et d’autres institutions gouvernementales, inter-gouvernementales et ONG pour la promotion effective des droits de l’enfant dans le monde.

Le projet “Indicateurs relatifs aux droits de l’enfant” a été initié par Childwatch International suite à l’adoption par l’Assemblée Générale des Nations Unies de la Convention relative aux Droits de l’Enfant et à la tenue du Sommet Mondial sur l’Enfance. Son objectif principal est de contribuer à la recherche d’instruments de suivi de l’application de la Convention par les Etats signataires. Pour ce faire, ses objectifs visent à:

(i) mettre au point une stratégie permettant d’utiliser de façon novatrice les données déjà accumulées sur la situation des Droits de l’Enfant à l’échelon national en vue de produire des rapports correspondant aux normes du Comité des Droits de l’Enfant;

(ii) développer des capacités à l’échelon national dans la mise au point d’indicateurs et à des fins d’analyse et de présentation des informations;

(iii) formuler des recommandations concernant les données recherchées par le Comité des Droits de l’Enfant;

(iiii) mettre au point un manuel et d’autres outils didactiques relatifs à la détermination d’indicateurs qui serviront aux Etats, aux ONG et aux défenseurs des Droits de l’Enfant dans le suivi de l’application de la Convention relative aux Droits de l’Enfant.

Au Sénégal, le travail a été amorcé en deux temps. Il y a d’abord eu une phase pilote axée sur les Articles 24 et 32 (Santé et Exploitation économique) et ensuite, une étude de cas concernant l’ensemble des articles de la Convention. Les objectifs assignés à notre équipe étaient les suivants:

  • élaborer un protocole de recherche permettant de collecter les données déjà accumulées par les institutions étatiques, les organismes inter-gouvernementaux et les ONG;
  • agencer et analyser le matériel collecté pour favoriser l’identification et le développement d’indicateurs permettant de contribuer au processus de contrôle prévu dans l’Article 44 de la Convention;
  • formuler des recommandations sur les divers aspects concernant l’étude;
  • présenter les résultats obtenus de manière à susciter une dynamique de suivi du projet au Sénégal.

La phase pilote a duré d’octobre à novembre 1994 et l’étude de cas a été menée dans la période comprise entre janvier et avril 1995. Le Sénégal est le premier pays où ces activités ont été entreprises. Ce choix se justifie d’abord par le fait que le Sénégal a déjà remis son Rapport Initial au Comité des Droits de l’Enfant et que celui-ci sera examiné durant l’année 1995. Ensuite, il y a un département gouvernemental des statistiques qui compte des ressources techniques assez développées. De plus, il existe au Sénégal une communauté académique qui possède des compétences confirmées dans plusieurs domaines. Le choix se justifie également par le niveau d’activité assez élevé des organismes d’appui au développement en ce qui concerne les droits ou le bien-être des enfants.

Cela dit, nous avons subdivisé le présent rapport en sept parties. La première partie est consacrée au contexte et à la méthodologie. Dans le contexte, il s’agit principalement de donner un aperçu de la situation politique, économique et démographique du Sénégal. Dans la méthodologie, nous avons résumé nos principes essentiels ainsi que notre démarche. La seconde partie du rapport traite des articles rangés dans la catégorie des principes de base avec un point focal sur la définition de l’enfant. En troisième lieu, nous avons abordé les provisions c’est à dire les “input” qui permettent de promouvoir les droits de l’enfant. Compte tenu de la disponibilité des données, les parties relatives à l’éducation, à la santé et à l’exploitation sont plus étoffées. Dans la quatrième partie, nous nous sommes attelés à identifier surtout les mesures législatives destinées à la protection des enfants. Le chapitre qui suit la protection est celui relatif au droit à la participation. Dans cette cinquième partie, l’accent est mis sur l’opinion de l’enfant et la liberté d’association. Dans l’avant-dernière partie nous nous efforçons de réfléchir sur une base permettant d’élaborer un ensemble principal d’indicateurs autour duquel pourrait être organisée la majeure partie du travail du Comité de Suivi à mettre en place au Sénégal. La septième partie du rapport est axée sur les conclusions et recommandations qui découlent de l’analyse de nos résultats.

Enfin, il nous faut souligner, malgré le caractère inédit du travail entrepris et le volume d’informations accumulées, que nous n’avons pas la prétention d’avoir cerné toutes les questions. Ce travail constitue une base dont l’élargissement et l’approfondissement requièrent la participation de tout un chacun quel que soit le niveau où il se trouve.

 


 

II. METHODOLOGIE

 

Pour atteindre les objectifs du projet l’équipe suivante a été mise en place:

  • une assistante sociale (Fatou Fall DIA)
  • un sociologue (Abdoul Karim GUEYE)
  • une animatrice/formatrice (Nafy DIAGNE).
  • d’un statisticien-démographe (Sidy GUEYE)

L’équipe a tout d’abord travaillé dans un atelier participatif avec comme facilitatrice Judith Ennew, coordinatrice du projet, en vue de dégager des principes essentiels et d’adopter une démarche.

1. Principes essentiels du protocole

(i) La période

La période de référence de l’étude concerne l’année 1992, mais la non complétude des données nous a poussés à prendre des données soit de l’année 1993, soit des années rétrospectives allant jusqu’en 1982. Les données collectées couvrent aussi bien le niveau national et général que le niveau spécifique aux enfants.

 

(ii) Les tranches d’âge

Il est vrai que la définition des tranches d’âges proposée dans l’espace littéraire varie selon les buts visés par les études et les organismes qui interviennent dans ce domaine. Toutefois dans cette étude, nous tenons compte de cette diversité dans la saisie des données relatives à l’âge et tenterons de proposer des groupes d’âge opérationnels.

Les tranches d’âge définies sur le plan universel dépendent des considérations d’ordre ‘biologique’. Cela peut être différent des tranches d’âge conçues à partir d’une perspective traditionnelle. Sur cette base on peut penser que les normes universelles restent à définir non pas à partir des besoins des organisations internationales, des agences et des ministères, mais à partir d’éléments centrés sur l’enfant. Pour les besoins de cette étude de cas, nous utiliserons des groupes d’âge qui pourraient refléter les caractéristiques aussi bien biologiques, psychologiques que socio-économiques. Aussi avons-nous retenu les groupes d’âge suivants:

  • Les enfants âgés de moins d’un an constituent un groupe cible particulièrement vulnérable, exposé à une mortalité infantile très élevée et à une morbidité si fréquente qu’ils méritent une attention et un suivi spéciaux;
  • Les enfants situés dans la tranche d’âge de d’un à cinq ans sont confrontés aux problèmes de sevrage brutal, de maladies diarrhéiques, de maladies du Programme Elargi de Vaccination (PEV), de malnutrition, etc;
  • Les enfants qui se trouvent dans la tranche d’âge de six à 14 ans sont souvent affectés par l’analphabétisme, le retard et la déperdition scolaire, l’exploitation économique telle que le travail précoce, les situations de danger moral hors des circuits éducatifs;
  • Les enfants et les jeunes âgés de 15 à 19 ans sont caractérisés par l’entrée dans la vie économiquement active, et dans la vie sexuelle et reproductive.

La non-disponibilité des données quantitatives sur l’âge limite selon la définition de l’enfant (Convention et législation), nous a conduit à fixer la limite d’âge à 19 ans révolus.

Au cours de la réalisation du projet global et sur la base d’autres études de cas, les groupes d’âge seront constamment révisés. Un des objectifs du Projet des Indicateurs est de développer un cadre de référence pour l’élaboration de groupes d’âge centré sur l’enfance et le développement plutôt que sur les besoins et les exigences des gouvernements et des agences internationales. L’orientation devra conduire à deux types de groupes d’âge:

(1) Universel: groupes d’âge conçus à partir des facteurs bio-psychologiques liés au développement de l’enfance;

(2) Spécifique: groupes d’âge élaborés en fonction des caractéristiques régionales, nationales et culturelles.

Ces groupes d’âge constitueront donc une base pour l’élaboration des ensembles d’indicateurs universels et spécifiques, qui sera sensible aux différences régionales, nationales et locales. Le repérage des caractéristiques bio-psychologiques universelles relatives au développement de l’enfance fera prochainement l’objet d’un séminaire organisé par le projet au Centre de Recherche sur la Famille de l’Université de Cambridge. Il est clair que les critères universels utilisés actuellement dans le développement de l’enfance ne reposent que sur des observations faites sur des enfants d’Europe et d’Amérique du Nord et ne prennent pas en compte les influences culturelles que cela implique.

 

(iii) L’enfant comme unité d’analyse

Au Sénégal, comme dans la plupart des pays, il existe peu de projets de recherche où l’enfant est pris comme unité d’observation et d’analyse. Généralement l’unité d’observation est la famille ou le ménage.

Dans la littérature, la notion de famille élargie est valable pour toutes les ethnies sénégalaises. Mais on note quelques divergences par rapport à l’organisation socio-culturelle de la famille. Si l’on prend le cas de l’ethnie Wolof qui représente la grande majorité de la population, la famille est non seulement un cadre de vie, mais une organisation socio-économique, une cellule de production et de consommation dans l’économie agricole de subsistance. C’est en son sein que s’établissent les relations sociales les plus permanentes et les plus étroites entre parents et alliés. La famille Wolof, traditionnellement connaît une organisation familiale étendue englobant souvent plusieurs dizaines de personnes et pouvant atteindre et dépasser une centaine.

La famille est un ensemble d’individus unis ou non par des liens de parenté vivant sous un même toît et partageant le repas sous l’autorité d’une seule personne appelée chef de famille (Diop A., 1985, pp. 145-146). Cependant cette famille peut regrouper plusieurs ménages qui pour la plupart du temps sont constitués uniquement des conjoints et de leurs enfants (ibidemen, p.150). Cette définition correspond à la notion de ménage qui est développée dans les enquêtes statistiques.

Si nous voulons mieux connaître et décrire la situation des enfants ou apprendre ce que renferme l’enfance (pris ici comme statut), nous devons développer d’avantage de méthodologies qui prennent l’enfant comme unité d’observation et l’enfance comme unité de d’analyse. Ainsi nous pourront analyser tous les processus et phénomènes sociaux relatifs à ce sous groupe ou quasi-population. Les indicateurs à développer seront directement rattachés aux statuts de ces enfants ou bien à leur environnement.

Il s’agit là de développer un nouveau cadre conceptuel centré sur l’enfant. Quelques essais ont convergé vers l’élaboration d’un cadre conceptuel basé sur la sociologie de l’enfance. Celui développé par Angelo Saporiti (Saporiti, 1994) et ayant la particularité de considérer les enfants comme des personnes (individus) et l’enfance comme élément structurel de la société nous parait le plus pertinent.

La particularité de ce cadre conceptuel réside sur les caractéritiques suivantes:

l’enfant est considéré comme une unité d’observation et l’enfance comme unité d’analyse;

  • le cadre conceptuel ne doit pas être une collection de statistiques, ni une description des conditions de vie, mais un support empirique pour une nouvelle sociologie de l’enfance;
  • le cadre conceptuel doit intégrer la traditionnelle connaissance sur l’enfance;
  • le cadre conceptuel doit tirer profit de l’interdisciplinarité.

Au Sénégal, nous avons posé les jalons d’une nouvelle approche qui devrait intégrer plusieurs méthodologies et outils. Une fois élaborée, elle pourrait permettre de mieux connnaitre la situation de ce groupe humain aux caractéristiques assez particulières.

 

(iv) La typologie

Afin de mesurer l’écart entre les actions menées sur le terrain et l’application des droits de l’enfant, l’équipe s’est proposée d’élaborer une typologie comportant les aspects suivants:

  • type et état des services;
  • utilisation;
  • besoin.

L’objet de cette typologie est de désagréger l’information et de passer en revue en même temps tous les services offerts aux enfants. Elle a également pour but de voir la manière dont ces services sont utilisés et fréquentés par les enfants ainsi que d’évaluer leurs besoins.

 

(v) Le regroupement des articles

Pour aborder la Convention et son application au Sénégal, nous avons jugé plus pratique de procéder à un regroupement des articles. Celui-ci s’est opéré en deux temps. D’abord du fait du nombre important et de la spécificité des articles contenus dans la Convention ainsi que des remarques faites suite à la présentation des résultats du projet pilote à Dakar et à Gand (novembre et décembre 1994), l’équipe a réparti les articles en quatre groupes, à savoir:

  • les principes de base;
  • les droits de provision;
  • les droits de protection;
  • les droits de participation.

Chaque grand groupe a également été divisé en plusieurs familles d’articles. Nous avons rassemblé dans une même famille les articles présentant quelques similitudes dans leurs contenus ou leurs objectifs.

 


 

2. Démarche

La démarche adoptée par l’équipe peut être scindée en plusieurs étapes.

 

(i) Revue documentaire sur la Convention relative aux Droits de l’Enfant

Tout d’abord l’équipe a exploité le contenu des Articles 24 et 32. Ensuite, elle s’est penchée sur le document réalisé par le Comité des Droits de l’Enfant relatif aux Directives Générales concernant la forme et le contenu des rapports initiaux. Enfin, elle a fait une lecture critique du rapport initial élaboré par le Sénégal (Ministère des Affaires Etrangères et des Sénégalais de l’Extérieur, 1994).

 

(ii) Indicateurs relatifs aux Droits de l’Enfant

Bien qu’il existe des informations relatives à l’enfance au Sénégal, on constate un manque de données qualitatives et quantitatives. Pour mesurer l’écart entre les actions menées sur le terrain (par l’état sénégalais, les organisations internationales, les organisations non-gouvernementales nationales) et l’application des droits de l’enfant, l’équipe s’est proposée de faire le diagnostic de la situation sur la population en général et les groupes sociaux (sexe, ethnie, urbain, rural, région, socio-économique) selon un protocole basé sur la typologie suivante:

  • type et état des services existants
  • utilisation des services
  • besoins.

 

(iii) Présentation du premier protocole

Le protocole du projet pilote axé sur les Articles 1, 24 et 32 a été presenté à cinq experts sénégalais provenant de l’Etat, des ONG et des OIG lors d’une journée de réflexion. Cela a permis de recueillir leurs opinions et suggestions. Après quelques légères modifications, l’ensemble du protocole a été validé comme premier jet.

 

(iv) Recherches

Les recherches documentaires se sont faites à deux niveaux: électronique et collecte de données secondaires.

 

(v) Mise en commun

Plusieurs séances de mise en commun ont été organisées sous la supervision de la coordinatrice des activités pour favoriser les progrès de l’équipe.

 

(vi) Présentation des résultats des travaux sur les Articles 1, 24 et 32

Les premiers résultats obtenus ont été présentés à la Conférence Européenne sur la Surveillance des Droits de l’Enfant tenue à Gand, en Belgique, en décembre 1994 lors d’un atelier de trois jours auquel ont pris part des chercheurs, des universitaires, des responsables d’organisations nationales et internationales (OIG et ONG) ainsi que des responsables d’institutions étatiques.

 

(vii) Elaboration du second protocole

A la suite de la conférence de Gand, un protocole axé sur l’ensemble des articles de la Convention a été élaboré en tenant compte des remarques et suggestions des participants à l’atelier de Gand. Celles-ci sont donc venues s’ajouter à celles formulées par le groupe d’experts lors du premier atelier qui a eu lieu à Dakar. Du fait du nombre important des articles contenus dans la Convention et de leurs spécificité, l’équipe a procédé à une répartition en quatre grands groupes comprenant:

  • les principes de base;
  • les droits de provision;
  • les droits de protection;
  • les droits de participation.

Chaque grand groupe a également été réparti en plusieurs familles d’articles (voir Annexe1). Une des raisons du regroupement des articles est qu’un seul indicateur, ou un ensemble d’indicateurs, peut être lié à plusieurs articles. Par exemple, les indicateurs de mortalité ou de morbidité sont relatifs aussi bien à l’Article 6 sur le droit à la vie qu’à l’Article 24 sur la santé. De plus, certains sont liés à la fois aux indicateurs des droits de provision et aux indicateurs des droits de protection. L’Article 32, par exemple, fait aussi bien appel à des indicateurs de protection contre l’exploitation économique qu’à la provision de services destinés à la réhabilitation des enfants économiquement exploités. Le regroupement des articles, tel qu’il est conçu dans l’étude de cas du Sénégal, est provisoire. Ce travail fera l’objet d’une analyse plus fine dans les prochaines études de cas. Cependant, il convient de dire que ce système s’est révélé très pratique pour le rassemblement et l’analyse des données et plus facile à utiliser qu’une analyse article par article qui aurait sans doute menés à des surcharges et répétitions.

Il nous est apparu que l’un des aspects les plus importants dans le regroupement des articles est la prise en compte du contexte culturel dans la définition de l’enfance. L’enfance est vécue différemment selon le sexe, l’ethnie, la classe sociale et le lieu. Il n’y a pas “une enfance sénégalaise” mais plusieurs, même si sur le plan législatif et dans la mise en oeuvre des programmes des agences, on ne tient pas compte de cette réalité. L’information sur les différences concernant l’enfance au Sénégal est éparse et comporte des lacunes. Il est vital, si on veut promouvoir les Droits de l’Enfant, de comprendre les différents contextes afin d’être en mesure de les comparer aux normes internationales et nationales. Il apparaît donc que l’étude systématique des différents contextes culturels est une urgente nécessité.

 

(viii) Deuxième répartition des tâches

Comme lors du projet pilote, l’équipe a été scindée en deux groupes. Le premier groupe a été chargé de collecter et d’analyser les données concernant les principes de base et les droits de protection alors que le second a travaillé sur les droits de provision et sur la participation. Trois phases ont été définies pour permettre la tenue de séances d’inter-action et de mise en commun sous la supervision de Linde Rachel, coordinatrice nationale, chargée de l’appui technique au Bureau Régional du Plan International d’Afrique de l’Ouest.

 

(ix) Présentation des résultats

Suite à un atelier d’inter-action et d’harmonisation, un séminaire-atelier a été organisé. Etaient présents des représentants du Gouvernement du Sénégal et des représentants d’OIG et d’ONG. La structure du projet, ses objectifs, sa méthodologie et ses résultats ont été présentés. Les participants ont apporté leur contribution dans les travaux de groupes en ce qui concerne des pistes de recherche d’indicateurs supplémentaires. Un comité de gestion du suivi a été mis en place à l’issue du séminaire-atelier avec la Défense des Enfants International (DEI) comme structure coordinatrice chargée de préparer les prochaines rencontres avec l’appui du Plan International.

 


 

II. LE CONTEXTE

 

(a). Le contexte sénégalais

Le Sénégal est un état situé sur la côte de l’Afrique de l’Ouest. Il comporte 10 régions administratives, parmi lesquelles, la région de Dakar couvre environ 0,3% du territoire national et 22% de la population totale. Depuis son indépendance en avril 1960, la République du Sénégal est gouvernée par un système présidentiel comprenant trois pouvoirs: l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Ces divers secteurs sont séparés et la Cour Suprême constitue l’autorité principale du pouvoir judiciaire fondé sur le Code Napoléon et la Constitution de 1963. Etat laïc, ayant un système administratif centralisé avec des démembrements jusqu’à l’échelon local, le Sénégal s’oriente de plus en plus vers un système de gestion décentralisée. Cependant, on peut noter que le processus de décentralisation se heurte au taux élevé d’analphabétisme (72%) de la population.

De 1980 à 1989, on a observé un taux de croissance moyen de 2,6% de l’économie et du P.I.B. Du fait, principalement, des facteurs climatiques défavorables comme la sécheresse de 1988-89, ce taux a baissé. En 1989, on a enregistré un PNB per capita de l’ordre de 650 $US avec un de taux de croissance de 0,0% de ce même PNB dans la période comprise entre 1980-89 et un taux d’inflation de 43%.

Le Sénégal est encore aujourd’hui un pays essentiellement agricole; 62,9% de sa population active (Direction de la Prévision et de la Statistique [DPS], Ministère de l’Economie des Finances et du Plan [MEFP], 1992, 15) tire ses revenus de ce secteur. La culture de l’arachide est la principale activité agricole et son exportation procure des revenus relativement important pour l’économie. Mais, du fait de l’irrégularité de la pluviométrie, on assiste depuis le cycle de sécheresse des années 1970 à des chutes périodiques des productions, d’où un endettement croissant du pays. En 1991-92, par exemple, la dette par enfant était d’environ 25.000 FCFA (Gouvernement du Sénégal et UNICEF, 1993, 41). Les difficultés financières ont amené le gouvernement à prendre une série de mesures à partir de 1979 dont: un Programme de Stabilisation Economique en 1979 et un Programme d’Ajustement à court et moyen terme en 1985. Ces mesures visaient, entre autres, à réduire de manière considérable les dépenses de l’état, à accroître la taxation, à promouvoir une politique de désengagement de l’état à l’égard du secteur agricole surtout et à libéraliser les politiques commerciales.

Au Sénégal, l’ethnie Wolof représente 43,4% de la population, et la langue wolof est parlée par environ 70,9% des habitants du pays. La langue officielle est le français. La société sénégalaise est très islamisée. La culture wolof et l’Islam constituent deux facteurs qu’il importe de prendre en compte dans l’analyse de la situation des enfants. D’autre part, la famille de type élargi existe toujours ce qui permet de maintenir des systèmes de solidarité et une cohésion sociale. On note également une persistance de la pratique de la polygamie et du système des castes malgré l’influence de la colonisation française.

Du fait de la dégradation des zones agro-écologiques, on assiste à une forte migration; 40% de la population se trouve actuellement dans les villes. La région de Dakar est celle qui accueille le plus d’émigrants.

 

(b). Le contexte démographique

Le Sénégal compte en 1992 une population de 6,9 millions d’habitants au dernier recensement général de la population et de l’habitat de mai 1988 (RGPH, 1988). Cette population est essentiellement constituée de ruraux avec un taux d’urbanisation de près 40%. Le rapport de masculinité qui est de 99,6% est en général plus élevé en milieu urbain qu’en milieu rural.

La proportion de jeunes de moins de 20 ans représente 58 % de la population totale. On assiste à une énorme disparité entre Dakar, la capitale, et les autres régions. Les principaux foyers de peuplement sont pour l’essentiel Dakar (22%), Thiès (14%), Kaolack (12%) et Saint Louis (9,5%). La population s’accroît au rythme annuel moyen de 2.8% et l’espérance de vie à la naissance est de 49 ans; niveau inférieur à la moyenne africaine.

Les flux migratoires permettent de dégager une hiérarchie urbaine favorisant largement Dakar qui accueille environ 45% de ces flux. La deuxième ville d’accueil est Thiès qui n’est autre qu’un relais de transit pour Dakar. La mouvance de ces flux traduit l’ampleur des mouvements d’exode rural vers Dakar, aggravant ainsi les déséquilibres entre Dakar et les autres régions.

 

(i) La structure par âge et par sexe

La population du Sénégal est essentiellement constituée de jeunes. Ceci est le résultat d’une très forte fécondité et d’une baisse assez significative de la mortalité infanto-juvénile au cours de cette dernière décennie. Dans l’ensemble, 55% de la population est âgée de moins de 20 ans (Tableau 1).

 

Tableau 1: Répartition de la population en pourcentage par sexe et groupes d’âge, 1988

ENSEMBLE DU SENEGAL
AGE Hommes % Femmes % Total %
0-4

5-9

10-14

15-19

20+

Total

19,8

16,5

12,2

10,0

41,5

3,353,599

10,6

16,2

11,6

10,6

43,0

3,543,209

19,1

16,4

11,9

10,3

42,3

6,896,808

Source: Direction de la Prévision et de la Statistique, Recensement de la Population et de l’Habitat 1988 (RPGH), 1993.

 

Les différences régionales observées sur la population enfantine sont assez importantes (Tableau 2). La population de Dakar est la moins importante avec 54% d’enfants de moins de 20 ans. Ce qui montre que Dakar accueille des flux de l’exode rural qui augmentent sa population active. Les autres régions ont en moyenne plus de 57% d’enfants de moins de 20 ans.

Le rapport de masculinité (sexe ratio – Tableau 2) pour les enfants de moins de 20 ans est de 96,5 % révélant ainsi une prédominance des garçons sur les filles. Ce rapport de masculinité laisse apparaître des différences entre les groupes d’âge. En effet, le sexe ratio donne un surnombre de filles entre les groupes d’âge zéro et quatre et 10-14. Concernant les autres tranches d’âge, on observe plus de garçons que de filles. Pour les groupes d’âges 5-9 ans, 15-19 ans les rapports de masculinité sont respectivement 97,1 % et 86%.

 

Tableau 2: Population enfantine en pourcentage selon l’âge, le sexe et la région, 1988

M M M M F F F F Total %
< 4 5-9 10-14 15-19 < 4 5-9 10-14 15-19 < 20

Dakar

19,5 19,0 21,0 23,7 19,0 19,1 22,8 24,1 21,1

Ziguinchor

5,4 5,8 3,0 3,0 5,5 5,7 5,0 5,1 5,1

Diourbel

9,1 9,3 8,4 7,0 9,2 9,5 8,8 8,3 8,4

Saint-Louis

8,9 9,7 9,5 9,6 9,9 9,7 9,9 10,1 9,9

Tambacounda

6,2 5,6 5,1 5,6 6,2 5,5 5,0 5,9 5,7

Kaolack

12,2 12,2 11,6 11,9 12,7 12,1 11,0 11,9 12,1

Thiès

13,7 14,1 14,3 13,3 13,7 14,1 14,1 12,5 13,8

Louga

7,0 7,4 7,4 7,0 7,1 7,6 7,1 7,2 7,2

Fatick

7,4 7,0 7,9 6,0 9,4 9,9 7,3 6,5 6,5

Kolda

9,4 9,2 8,4 8,1 9,4 9,1 7,4 9,6 8,5

Ensemble Sénégal

662816 55176 408713 333468 657095 573472 410322 376720 3976782

Source: RGPH, 1993

 

 

(ii) Les groupes ethniques

Le Sénégal compte une vingtaine d’ethnies; leur représentation varie selon la région. La majorité de cette population est constituée par les Wolof qui représentent 42 %. Ils sont partout dominants sauf dans les régions de Ziguinchor, Tambacounda, Kolda et Saint Louis. Les Pulaar et les Sereer représentent respectivement 23,7% et 14,9% du total et, de ce fait, les trois autres ethnies compétent chacune 6% de la population (Tableau 3).

 

Tableau 3: Répartition de la population sénégalaise résidente selon l’ethnie et par région, 1988

 

Régions

Wolof% Pulaar% Sereer% Joola% Manding% Others%
Dakar 53,8 18,5 11,6 4,7 2,8 8,6
Ziguinchor 10,4 15,1 4,5 35,5 13,7 20,8
Diourbel 66,7 6,9 24,8 0,2 0,2 1,2
St-Louis 30,1 61,3 0,7 0,3 00 7,6
Tamba 8,8 46,4 3,0 00 17,4 24,4
Kaolack 62,4 19,3 11,8 00 0,5 6,0
Thiès 54,0 10,9 30,2 0.7 0,9 3,3
Louga 70,1 25,3 1,2 00 00 3,4
Fatick 29,9 9,2 55,1 00 2,1 3,7
Kolda 3,4 49,5 00 5,9 23,6 17,6
Total 42,7 23,7 14,9 5,3 4,2 9,2

Source: RGPH, 1993

 

(iii) Les religions

La quasi totalité de la population résidente au Sénégal est musulmane (94 %). Cependant, il existe des différences spatiales significatives. C’est en effet dans la région de Dakar que les chrétiens sont relativement plus nombreux (6,7 % contre 4,9 % au niveau national). L’Islam est la première religion du Sénégal et, parmi les musulmans, la confrérie tidiane est la plus importante (45%), suivie par les mourides et les khadr. Cependant, il existe des variations régionales non négligeables. La confrérie des tidianes compte des adeptes dans toutes les régions, surtout à Dakar, tandis que les mourides sont plus concentrés dans les régions de Dakar, Thiès, Louga et dans la ville de Touba.

 

(iv) Tendance à la nucléarisation des familles ou au maintien d’une famille élargie

Comme nous l’avons déjà signalé dans ce rapport, la polygamie et la circulation des enfants sont des pratiques courantes au Sénégal. Mais dans l’exercise suivant nous essayons de situer la notion de famille nucléaire dans ce contexte. D’emblée disons qu’ici, par famille nucléaire, nous entendons la famille biologique symbolisée par le noyau familial. Le noyau familial correspond ici au couple et se rapproche plus ou moins de la famille biologique. Il est en général composé d’un couple marié sans enfant, ou bien d’un couple marié avec un ou plusieurs enfants non-mariés, ou encore d’un des parents (père ou mère) avec plusieurs enfants non-mariés. De façon plus générale, et compte tenu de la forte fréquence de la polygamie, le mari, plusieurs épouses, et les enfants non-mariés forment un seul noyau familial dès l’instant s’ils font partie du même ménage. Au Sénégal, les familles nucléaires représentent 65% des ménages (Tableau 4). Vingt deux pour cent (22%) des ménages sont composés de deux noyaux et environ 13% sont composés d’au moins trois noyaux. En moyenne un ménage est constitué de 1,5 noyau avec une taille moyenne de 8,7 personnes. Ce résultat consolide le maintien d’une famille élargie au profit de la famille nucléaire.

 

Tableau 4: Structure des ménages selon le nombre de noyaux, 1988

Nombre de noyaux Nombre de ménages %
1 544,324 65,0
2 186,102 22,2
3 72,215 8,6
4 24,449 2,9
5 6,793 0,8
6 et + 3,525 0,5
TOTAL 837,408 100,0

Source: Direction de la Prévision et de la Statistique (Enquête sur les Priorités), 1993.

 

Il est possible d’avoir des renseignements concernant le nombre des enfants qui se trouvent dans tel ou tel type de famille, le nombre de ceux qui ne se trouvent pas dans leur famille natale, selon l’ethnie, la région, le sexe etc., à partir du fichier de renseignements (RGPH, 1988) disponible au bureau de la statistique. Le réseau qui gère ces données est momentanément en panne.

 

(v) Le divorce

Entre 1978 et 1986, le divorce a connu une recrudescence (Tableau 5). Le taux moyen de divorce est passé de 4,23% à 4,76%, soit une hausse relative de 12,5%. Ce taux de divorce est marqué par la différence entre milieu urbain et milieu rural. En général les mariages se maintiennent mieux en milieu rural qu’en milieu urbain. Ainsi observe-t-on en milieu rural que le faible taux de divorce de 2,1% en 1978 a stagné durant la période 1978-1986 (2,2% en 1986). Dans le milieu urbain, le taux de divorce a beaucoup augmenté et particulièrement à Dakar où il est passé de 5,1% en 1978 à 6,3% en 1986.

L’impact des divorces sur les enfants n’est pas analysé mais il serait très intéressant d’orienter les recherches qualitatives vers cette question.

 

Tableau 5: Tableau récapitulatif des taux de divorce selon le milieu d’habitation (urbain et rural) en 1978 et en 1986.

1978 1986
AGES Dakar Autres villes Milieu rural Dakar Autres villes Milieu rural
15-19 1,6 2,0 1,9 1,4 0,6 1,3
20-24 6,9 6,5 3,4 3,7 8,2 2,8
25-29 5,0 7,9 1,9 11,3 7,8 2,5
30-34 5,0 2,9 2,1 7,2 5,1 2,1
35-39 7,1 7,9 1,9 13,2 10,3 1,3
40-44 7,8 7,7 1,3 5,3 7,3 4,0
45-49 8,3 2,5 1,0 6,7 7,7 1,7
Total 5,1 5,5 2,1 6,3 5,8 2,2

Source : RGPH, 1993

 

(vi) Le niveau de fécondité

Le nombre moyen d’enfants par femme est de six en 1992. On note cependant une disparité entre milieu urbain et milieu rural. Il y a 1.7 enfant par femme de plus en milieu rural qu’en milieu urbain (Tableau 6).

 

Tableau 6: Taux de fécondité par âge (%) selon le milieu de résidence, 1988

Age actuel (ans) Urbain Rural
15-19 78,0 167,0
20-24 199,0 290,0
25-29 231,0 292,0
30-34 225,0 257,0
35-39 172,0 193,0
40-44 95,0 101,0
45-49 13,0 47,0
15-49 5,0 6,7

Source: RGPH, 1993

 

(vii) La polygamie

Au Sénégal, 53,3 % des femmes mariées vivent au sein d’unions polygames (Tableau 7). Ces femmes ont au moins une co-épouse. Le taux de polygamie augmente régulièrement avec l’âge des femmes. Ainsi, on note qu’après 25 ans une femme sur deux vit dans un ménage polygame. La polygamie est plus précoce en milieu rural qu’en milieu urbain (37,2 % en milieu rural contre 28,8 % en milieu urbain à 15-19 ans). A tous les âges de la période procréative, on remarque un taux de polygamie de 55,9 % en milieu rural contre 47,8 %.

 

Tableau 7: Répartition des femmes sénégalaises résidentes en union selon le rang dans le mariage, par âge et par milieu de résidence, 1988

Age Monogame 1er/2ème* 3ème Polygame
15-19 64,2 31,8 4,1 35,8
20-24 58,2 37,1 4,7 41,8
25-29 49,6 44,6 5,7 50,4
30-34 43,0 50,4 6,6 57,0
40,44 35,9 56,5 7,6 64,1
45-49 35,8 56,5 7,7 64,2
50-54 35,7 56,2 8,0 64,3
55-59 36,7 54,2 9,2 63,3
60-64 37,8 52,2 10,0 62,2
70 et + 42,1 44,2 13,7 57,9
Ensemble 46,7 46,9 6,5 53,3
RURAL ensemble 44,2 49,2 6,6 55,9
URBAIN ensemble 52,2 41,7 6,2 47,8

Source: RGPH, 1993.

 

Conclusion

Le contexte sénégalais est certes complexe, mais il a permis la réalisation de la première étude de cas de la série d’études de Childwatch. Quelques données sur l’enfance sont déjà désagrégées par région, groupe ethnique, âge, sexe, et l’on constate que les chiffres utilisés par divers agences sont parfois différents. La désagrégation à partir de ces facteurs a été prévue au niveau d’un projet sur différents secteurs concernés par les droits de l’enfant et le repérage de groupes spécifiques victimes de violations ou de non-accomplissement de leurs droits. En plus, le Sénégal connaît des caractéristiques culturelles particulières qui jouent un rôle spécifique sur les enfants et leurs droits, parmi lesquelles quelques unes sont propres à la sous-région. On peut citer dans ces traditions, une pratique de circulation des enfants et le phénomène des écoles coraniques (Daaras) a été considéré par l’équipe important à prendre en compte.

 


 

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