INDICATEURS RELATIFS AUX DROITS DE L’ENFANT

 

 INDICATEURS RELATIFS AUX DROITS DE L’ENFANT

ETUDE DE CAS DU SENEGAL, 1995

FATOU FALL DIA, NAFY GUEYE DIAGNE, ABDOUL KARIM GUEYE & SIDY GUEYE

 

 

CHAPITRE III: LES DROITS DE PROTECTION

 

Il s’agit à présent d’aborder deux questions liées à la protection de l’enfant. La première interrogation est relative aux Articles 10 et 11 de la Convention et concerne le regroupement familial. En effet, l’Article 10 traite de la protection contre la séparation et l’Article 11 est axé sur la protection contre le déplacement et le non retour illicite. Notre seconde préoccupation concerne la protection contre l’exploitation. Dans cette rubrique, nous avons retenu les cinq articles suivants:

  • Article 32 (la protection contre l’exploitation économique);
  • Article 19 (la protection contre le mauvais traitement);
  • Article 34 (la protection contre l’exploitation sexuelle);
  • Article 35 (la protection contre le traffic d’enfants);
  • Article 36 (la protection contre toute autre forme d’exploitation).

Si l’on admet que la protection de la cellule familiale a toujours été une préoccupation pour les sociétés humaines et que cela constitue un instinct de survie, l’on est surpris de constater la difficulté qu’il y a à accéder aux documents relatifs à la famille au Sénégal en général, hormis les instruments juridiques. Il en est de même pour la série d’articles concernant la protection contre l’exploitation. Aussi n’allons-nous pas étudier les divers points concernés dans les détails.

 


 

1. LE REGROUPEMENT FAMILIAL

Notre perspective consiste à aborder le regroupement familial selon la législation, les mesures administratives et les mesures sociales d’une part et selon la culture d’autre part. Mais, avant d’étudier ces mesures au niveau du Sénégal, nous avons jugé utile de rechercher quelques indications sur le plan des normes internationales.

 

Article 10: La protection contre la séparation

En premier lieu, il est à préciser que l’Article 10 vise la réunification familiale. Ceci est d’ailleurs précisé dans le résumé officieux des principales dispositions de la Convention en ces termes: “L’enfant et ses parents ont le droit de quitter tout pays et d’entrer dans le leur aux fins de la réunification de la famille ou du maintien des relations entre eux”. Nous nous appuyerons sur le paragraphe 1 de l’Article 9 du Code de la Famille, le divorce et la séparation de corps pour aborder la question qui nous intéresse. Il s’agira, pour nous, de voir dans un premier temps, les principes et les mesures législatives qui, sur le plan international et au niveau du Sénégal, ont pour objet de favoriser et de protéger l’unité familiale.

Tout d’abord, il faut rappeler la conviction des rédacteurs de la Convention qui apparaît dans le Préambule en ces termes: “La famille, unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres, et en particulier des enfants, doit recevoir la protection et l’assistance dont elle a besoin pour pouvoir pleinement jouer son rôle dans la communauté”. Il y a d’autre part dans le paragraphe suivant, la reconnaissance du fait que “l’enfant pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension”.

Dans un second temps, on peut signaler la déclaration de l’Assemblée Générale des Nations Unies en 1986 sur les principes sociaux et juridiques relatifs à la protection et au bien-être de l’enfant: “Le bien-être de l’enfant dépend du bien-être satisfaisant de la famille” (Konate, 1988, p.13).

Nous avons aussi noté, dans le chapitre consacré au bien-être psychosocial de l’enfant, que le Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR, 1994, p.46) pose comme principe directeur: “Préserver l’unité de la famille… Selon les causes, les problèmes menaçant les familles de séparation peuvent être quelquefois surmontés en conseillant ces familles, en leur donnant accès à l’emploi et à d’autres formes d’aides”.

Au Sénégal, la question de la famille est prise en compte par la Constitution qui stipule en son article 15 que: ” Le mariage et la famille constituent la base naturelle et morale de la communauté humaine. Ils sont placés sous la protection de l’état. L’état et les collectivités publiques ont le devoir social de veiller à la santé physique et morale de la famille”. C’est pourquoi, le juriste D.S.Fall (Fall, 1988, p.3), considère que “la famille élément naturel et fondamental de la société bénéficie d’une solide assise légale, le but recherché étant de faire profiter à un plus grand nombre d’enfants des avantages de cette institution”. Dans sa réflexion, Fall considère également, le fait que c’est la famille qui constitue un lieu de “développement psycho-affectif, de socialisation et de préparation à la vie familiale”. Le législateur a ainsi prévu trois sortes de familles: la famille légitime (issue du mariage), la famille naturelle et la famille adoptive.

Il nous faut aussi rappeler qu’au Sénégal, l’abandon de la famille est régi par le Code Pénal en son Article 350 qui prévoit des peines allant de trois mois à un an d’emprisonnement pour le conjoint fautif (mari ou femme) et une amende de 20 000f à 250 000f. Le souci de protection de l’enfant contre la sépartion apparaît même en cas de divorce ou de séparation de corps des parents. Ceci est prévu par l’Article 278 du Code de la Famille qui stipule que: “le jugement prononçant ou constatant le divorce ou la séparation de corps statue sur la garde de chacun des enfants, qui pour son plus grand avantage, sera confié à l’un ou l’autre des parents ou s’il est nécessaire à une tierce personne”.

Comme nous l’avons signalé dans le Tableau 5, le taux de divorce a connu une augmentation entre 1978 et 1986. En effet, de 4,23% , le taux moyen de divorce est passé à 4,76% soit une hausse relative de 12,5%. Nous avons également relevé que le taux de divorce a stagné en milieu rural (2,1% en 1978 et 2,2% en 1986) alors qu’il a beaucoup augmenté en milieu urbain et particulièrement dans la région de Dakar où il est passé de 5,1% à 6,3% dans la période considérée. Ces chiffres indiquent donc une tendance à l’accroîssement du nombre de familles séparées d’où la nécessité de veiller davantage à la consolidation de la cellule familiale. C’est pourquoi, pensent d’aucuns, “les règles protégeant l’institution familiale notamment celles relatives au mariage, constituent les premières règles de protection de l’enfance; et toute règle juridique ou autre qui fonde, renforce, pérennise le mariage, est une règle de protection de l’enfance” (Centre Lebret, 1991, p.42).

Dans cette optique, nous savons qu’il existe au Sénégal des mesures administratives et sociales de l’état qui visent à protéger la famille contre la séparation mais les données existantes à la Direction de l’Action Sociale et à la Caisse de Prévoyance et de Sécurité Sociale ne sont pas encore mises à notre disposition, malgré nos multiples démarches.

 

Article 11: La protection contre le déplacement et le non retour illicite

Il est vrai que le Sénégal a ratifié un certain nombre de traités et conventions qui ont entre autres préoccupations de protéger l’enfant contre le déplacement et le non retour illicite, ceci dans le but de garantir le regroupement familial. Toujours dans le prolongement de notre réflexion, si nous revenons au niveau de l’Article 278 du Code de la Famille, à la fin du premier paragraphe, il est dit que: “Le tribunal fixe les conditions dans lesquelles le parent privé de la garde pourra exercer un droit de visite”. Il y a donc là un souci du législateur d’agir dans un sens qui tienne compte de l’intérêt de l’enfant tout en sauvegardant ce qui reste des liens de la famille, lors du jugement constatant un divorce ou une séparation de corps.

Par ailleurs, il est prévu dans le Code Pénal une série de sanctions en cas de séquestration ou d’enlèvement; le cas de l’enfant est considéré comme une circonstance aggravante. En effet, dès l’Article 334 axé sur les arrestations illégales et les séquestrations, l’on peut noter: “Le maximum de la peine sera toujours prononcé si la personne faisant l’objet de la convention est âgée de moins de quinze ans”. A noter également qu’il existe dans le Code Pénal Sénégalais, dans la section 7 du Titre II consacré aux Crimes et Délits contre les Particuliers, plusieurs paragraphes dont deux nous intéressent: l’un concerne les crimes et délits envers l’enfant et l’autre traite de l’enlèvement des mineurs. Dans le paragraphe premier, l’Article 338 dispose: “Les coupables d’enlèvement, de recel, ou de suppression d’un enfant, de substitution d’un enfant à un autre, ou de supposition à un enfant qui ne sera pas accouché, seront punis d’un emprisonnement de cinq à dix ans”. Dans une première interprétation on peut dire qu’il s’agit là d’une protection beaucoup plus axée sur les nouveaux nés; ce qui est à notre sens, une précision apportée par le législateur. Plus loin, dans le paragraphe réservé à l’enlèvement des mineurs, apparaissent cinq articles dont un (Article 347) qui prévoit même la peine de mort: “L’enlèvement emportera la peine de mort s’il a été suivi de la mort du mineur”.

Toujours dans le souci de protéger l’enfant contre le déplacement et le non retour illicite, il est prévu à l’Article 349 du Code Pénal:

“Quand il aura été statué sur la garde d’un mineur par décision de justice, provisoire ou définitive, le père, la mère ou toute personne qui ne représentera pas ce mineur à ceux qui ont le droit de le réclamer ou qui, même sans fraude ou violence l’enlèvera ou le détournera ou le fera enlever ou détourner des mains de ceux auxquels sa garde aura été confiée, ou des lieux où ces derniers l’auront placé, sera puni d’un emprisonnement de deux mois à deux ans et d’une amende de 20 000 à 200 000f. Si le coupable à été déchu de la puissance paternelle, l’emprisonnement pourra être élevé jusqu’à trois ans”.

A ce propos, nous avons essayé de voir au niveau des instances juridiques, le nombre de cas observés et la nature des sanctions qui ont été appliquées, mais nous n’avons malheureusement pas pu accéder aux informations.

Mis à part les instruments juridiques, nous avons collecté des données administratives et sociales auprès des sources suivantes:

  • la Direction de l’Education Surveillée et de la Protection Sociale (DESPS);
  • le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR);
  • le Centre d’Informations Juridiques du RADI (CIJ);
  • le Ministère de la Femme, de l’Enfant et de la Famille (MFEF).

Au niveau de ces diverses institutions, nous avons constaté soit une difficulté d’accéder aux informations soit une absence d’informations concernant le regroupement familial. A la DESPS, malgré nos bons contacts, nous n’avons pas réussi à obtenir un rendez-vous. Au HCR, on nous a envoyés à St Louis, au Bureau d’Orientation Sociale où nos diverses tentatives par téléphone ainsi que nos déplacements sont restés sans suite. Le CIJ nous a permis d’accéder à ses documents internes mais ceux-ci ne contiennent pas les données qui nous intéressent. Le MFEF n’a aucune donnée écrite concernant la famille; le ministère existe depuis avril 1991 et le Plan National d’Action pour la Famille n’est pas disponible (en cours d’élaboration).

Ces quelques éléments peuvent constituer soit des indicateurs de pauvreté sur le plan documentaire soit des indicateurs de faiblesse dans l’application des mesures administratives et sociales.

 


 

2. LA PROTECTION CONTRE L’ETAT ET LES TIERS

Article 16: La protection contre l’intrusion des tiers

Toujours selon notre perspective, il est important de voir les mesures législatives et administratives qui visent a protéger l’enfant contre d’éventuelles immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance d’une part et d’autre part d’éventuelles atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.

Nous n’avons pas pu accéder aux données contenues dans les archives des tribunaux pour vérifier l’application de la loi mais nous savons que la sauvegarde de la cohésion de la famille est un des soucis du législateur sénégalais ainsi que la protection de la vie privée des citoyens quel que soit leur âge et leur sexe. En effet, dans l’Article 7 de la Constitution du Sénégal, il est dit: “l’Etat et les collectivités publiques ont le devoir social de veiller à la santé physique et morale de la famille”. L’inviolabilité du secret de la correspondance et du domicile est également proclamée par le même texte (Articles 10 et 13). Pour protéger les citoyens, quel que soit leur âge, contre des abus d’autorité possibles, le Code Pénal a prévu des peines d’emprisonnement et des amendes.

 

Article 37: La protection contre la torture et la privation de liberté

Article 40: La protection contre les erreurs ou abus de justice

Encore une fois, pour avoir des éléments d’analyse concernant les textes législatifs à l’épreuve de la réalité, nous nous sommes rendus au Tribunal pour Enfants mais nous n’avons pu accéder aux données. D’autre part, du fait du déménagement de l’association Espoir Sans Frontières, il ne nous a pas été possible de chercher dans la revue Les Enfants Martyrs des témoignages sur d’éventuelles tortures ou des privations de liberté.

Toujours est-il, comme cela est démontré dans le chapitre sur les provisions que le Sénégal a un dispositif législatif, administratif et social pour “l’enfance délinquante et en danger”. Le Code de Procedure Pénale consacre toute une série d’articles à la protection de l’enfant (Articles 565 à 608). Dans ses dispositions générales, le législateur (Article 567) pose le principe de la protection, de l’assistance, de la surveillance et de l’éducation appropriées. Cependant, il nous faut souligner que les mineurs âgés de plus de 13 ans peuvent faire l’objet d’:

  • un emprisonnement de 10 ans à 20 ans s’il a encouru la peine de mort;
  • un emprisonnement de cinq à 10 ans s’il a encouru les travaux forcés;
  • un emprisonnement de deux au plus s’il a encouru la peine de la dégradation civique.

Selon nos discussions informelles avec le juge pour enfants du Tribunal de Dakar à ce sujet, il n’y aurait eu qu’un seul cas d’emprisonnement prononcé pendant l’année judicaire 1994. Nous n’avons pas pu collecter de données sur cette question.

 

Article 37: La protection contre l’enrôlement militaire

Dans le contexte sénégalais, aucun conflit armé ne peut amener l’état à procéder à recruter en dessous de l’âge de la majorité civile. Mais on peut se demander si dans le cadre de la lutte des séparatistes casamancais, l’état veille sur les enfants qui sont engagés dans le conflit.

Sur le plan légal, l’âge de l’enrôlement est fixé à 21 ans et peut être rabaissé à 18 ans en cas d’autorisation parentale.

 


 

3. LA PROTECTION CONTRE L’EXPLOITATION

Article 32: La protection contre l’exploitation économique

Le contexte social, politique et économique actuel du Sénégal comme partout dans les pays en voie de développement, favorise davantage l’implication de la plupart des enfants dans les activités économiques. Même si le travail des enfants constitue à la fois une alternative face aux nombreuses difficultés liées à leur prise en charge, et une forme de préparation à la vie active, dans certains cas, il n’en est pas moins une forme d’exploitation économique et expose l’enfant à de nombreux risques. Selon les normes internationales, on dit que cette situation ne peut qu’entraîner un mauvais développement de l’enfant sur le plan physique et moral (Boyden, 1990).

D’après les données disponibles, l’exploitation économique au Sénégal se situe à plusieurs niveaux, entre autres:

  • dans les mécanismes traditionnels (ateliers, entreprises familiales);
  • dans les ménages (où des enfants sont confiés, ou participent à la vie économiquement active en tant que domestiques, par exemple);
  • dans les Daaras (où on trouve des talibés, mendiants, des talibés-agriculteurs et des élèves).

En fonction des sources disponibles, nous nous proposons de faire un diagnostic des mesures prises par l’état, par certaines ONG et des pratiques relevant de mécanismes traditionnels afin d’identifier d’autres types d’indicateurs.

Bien que notre année de référence soit 1992, nous avons souvent, pour des raisons de disponibilité, utilisé des informations de 1993 et 1994.

 

Les mesures de l’état

Comme nous le verrons plus tard, malgré le souci du législateur Sénégalais de protéger les enfants contre l’exploitation économique, on constate sans difficulté un réel décalage entre le droit et les faits. Il convient de souligner que les instruments sur l’apprentissage ne concernent que le secteur formel de l’économie. Or, l’immense majorité des enfants travailleurs se trouve dans le secteur dit “non-structuré” ou “informel” (Sadio, 1993, 31). Là interviennent des mécanismes traditionnels de socialisation qu’il convient également de ne pas perdre de vue (Gueye, Diagne et Sene, 1993, 3). Il y a à côté de ces apprentis d’autres enfants qui exercent des petits métiers pour leur survie et la survie de leur famille.

Selon un commentateur, les raisons qui limitent l’application effective des textes qui visent à protéger l’enfant incluent:

  • l’absence de contrôles réguliers par les inspecteurs du travail;
  • la méconnaissance des lois par les familles;
  • la faillite du système éducatif conventionnel avec comme conséquences un gonflement des effectifs d’apprentis dans les ateliers du secteur “informel” ainsi que l’augmentation du nombre des enfants qui excercent des petits métiers;
  • l’utilisation des mécanismes traditionnels comme prétexte;
  • le poids social des marabouts (chefs religieux) en ce qui concerne les talibés.

Ces raisons rendent difficile l’identification soit des indicateurs de base soit des indicateurs de suivi. Dans les parties suivantes nous allons examiner les données qui peuvent servir d’indicateurs dans ce domaine.

 

(i) Les mesures législatives

Selon le rapport initial adressé au Comité, “La jeunesse est protégée par l’état et les collectivités locales publiques contre l’exploitation et l’abandon moral” (Gouvernement du Sénégal, 1994, alinéa 15). Ceci est repris par le Code du Travail en son Article 140 qui prévoit que les enfants ne peuvent être employés dans une entreprise, même comme apprentis, avant l’âge de 14 ans, sauf dérogation. Les mesures législatives suivantes sont prévues (loi 52-1322 du 15/12/1952), instituant le Code du Travail:

  • la durée de l’apprentissage ne doit pas excéder quatre ans;
  • le contrat d’apprentissage doit être constaté par écrit conformément aux dispositions prises;
  • l’apprenti doit avoir une carte délivrée par l’Office de la Main d’Oeuvre;
  • l’employeur doit tenir un registre des apprentis prévu par l’Article 171 de la loi du 15/12/1952;
  • l’Article 141 d’ajouter que l’inspecteur du travail peut requérir l’examen des enfants par un médecin pour vérifier que les enfants ne sont pas surmenés;
  • l’Article 142 reconnait et fixe le repos hebdomadaire à 24 heures consécutives;
  • l’Article 70 du Code du Travail précise que l’employeur doit traiter les apprentis en bon père de famille.

De plus, selon Yacine Fall, “l’arrêté No. 8127 du 29/12/1953 sous forme de contrat détermine les conditions d’emploi et de suivi des apprentis” (Fall, 1994, 26).

En outre, concernant le travail dans les ménages, l’arrêté ministériel No. 974 du 27/01/1968 modifié et amélioré par l’arrêté ministériel No. 3006 du 20/03/1972 spécifie les conditions d’emploi et de rémunération des domestiques et gens de maisons. Enfin la mendicité sur la voie publique est interdite par l’Article 245 (Code Pénal) loi no 75-77 du 9 juillet 1975, ce qui en principe devrait protéger les talibés contraints à mendier par leurs marabouts, entre autres.

 

(ii) Les mesures administratives

Selon le rapport d’un séminaire des organismes gouvernementaux et des OIG sur “Le travail des enfants au Sénégal” on note concernant la règlementation une existence de la législation (BIT/UNICEF, 1994). Dans le Code du Travail, deux articles traitent de l’âge et des modalités de contrôle de l’inspection du travail. On peut relever que le Code du Travail stipule clairement les conditions de forme et de fond de l’activité d’apprentissage. Le texte du Code du Travail est completé par des décrets d’application et des arrêtés datant de 1953, lesquels abordent la question en détails et proposent un modèle de contrat d’apprentissage. Malgré l’existence de dispositions règlementaires et législatives, le recours à ces normes est presque inexistant. Les textes de lois visent uniquement le secteur structuré; mais force est de constater qu’ils ne sont pas effectivement appliqués. Le secteur informel est en dehors de l’emprise institutionnelle et on y retrouve beaucoup plus d’apprentis âgés de moins de 14 ans. De plus, les acteurs de ce milieu trouvent les règles trop contraignantes et contraires à leurs habitudes. Il convient alors de les amener à s’exprimer sur des règles qui doivent les régir dans la relation avec les apprentis (BIT/UNICEF, 1994, 18).

Vu la faiblesse des moyens dont dispose l’inspecteur du travail pour intervenir sur le terrain et mettre en oeuvre des mesures administratives efficaces, il s’avère nécessaire de renforcer les moyens juridiques et logistiques permettant d’atteindre la cible enfant qui de tout temps et de manière accrue constitue l’essentiel de la main d’oeuvre du secteur informel (ibid, 19).

Nous avons fait le choix de parler des mesures sociales parce que dans la situation de pauvreté qui caractérise la majorité de la population au Sénégal, ces mesures réduisent, somme toute, les risques d’exploitation des enfants. En effet en période de crise économique les jeunes filles et garçons sont utilisées dans les circuits de production ou bien dans la rue pour les activités de survie ou bien dans la prostitution. Les mesures sociales suivantes sont mises en place pour améliorer la situation des enfants (enfant en situation de crise et/ou prévention et diminution des facteurs de risque, et/ou reinsertion dans le milieu social). Cependant ces mesures ne sont pas exclusivement dirigées vers les enfants en situation d’exploitation économique. La section suivante contient en grande partie des informations pertinentes sur les aspects qui concernent les institutions, l’éducation, les prisons et la protection contre l’abus.

Au Sénégal, il existe des institutions sociales mises en place par l’état que l’on peut ranger en deux categories. D’abord, il y a celles qui dependent du Ministère de la Santé et de l’Action Sociale (DAS) et celles rattachées au Ministère de la Justice.

La collecte des données au niveau de la DAS a rencontré certains problèmes:

  • rapports incomplets;
  • rapports en mauvais état de conservation;
  • rapport annuel de la structure comprenant peu de données sur le fontionnement de la structure.

Les CPRS, comme leur nom l’indique, ont pour mission d’assurer la protection des enfants et de “créer les conditions d’un épanouissement intégral des populations et plus particulièrement les plus défavorisées” (DAS, 1994, p.9). Il existe 38 CPRS répartis sur le territoire du Sénégal. Le rapport mis à notre disposition par la DAS ne nous renseigne pas sur la répartition des CPRS selon l’urbain, le rural et la région. Il n’y a pas non plus d’indications sur le personnel (ibid, 10).

 

Tableau 49: Centres de Protection et de Réinsertion Sociale (CPRS) selon les régions, 1992.

CPRS BUDGET EN 1992
Dakar 12 471 000
Thiès 4 471 000
Saint-Louis 6 471 000
Kaoloack 4 471 000
Fatick 4 471 000
Kolda 1 471 000
Diourbel 3 471 000
Tamba 3 471 000
Ziguinchor 1 471 000
TOTAL 38 4 710 000

(Source: Ministère de la Santé et de l’Action Sociale, Direction de l’Action Sociale, 1994)

 

Seuls quelques chiffres relatent l’équipement distribué en 1994, à savoir: 10 armoires à deux battants, trois armoires à battants et cinq bancs longs. Cet équipement a été placé dans les nouveaux CPRS. Cette année là, le budget de la DAS s’élevait à 3 608 000 F CFA ($7,216) ce qui est très insuffisant eu égard aux missions qui lui sont confiées:

  • achat de fournitures de bureau;
  • contrat d’entretien des locaux dont la vétusté a atteint un niveau inquiétant;
  • contrat et entretien du matériel de bureau.

En effet, le manque de matériel et la vétusté des infrastructures de la DAS peuvent influer négativement sur la qualité de son intervention en faveur de l’enfance.

Quant aux catégories d’enfants qui fréquentent les CPRS, il n’est fait mention nulle part de leur âge, sexe, religion et groupe ethnique. D’ailleurs, selon le rapport de la DAS précité, il y a une irrégularité notoire dans la production des rapports (ibid). A titre d’exemple, seuls 2,3% des CPRS envoient un rapport mensuel. Dans ces conditions donc, l’information peut être qualitativement et quantitativement pauvre. Cela dit, nous savons que les CPRS sont généralement fréquentées par les jeunes filles qui étudient l’art ménager (broderie, tricot, couture et le planning familial) et aussi par les enfants de trois à six ans dans les garderies.

La deuxième catégorie est celle des structures sous tutelle du Ministère de la Justice qui dépendent de la Direction de l’Education Surveillée et de la Protection Sociale (DESPS). Parmi ces structures on compte:

  • les services d’Action Educative en Milieu Ouvert (AEMO)
  • les Centres Sauvegardes ;
  • le Centre de Protection Sociale (CPS) ou la prison des mineurs (Front de terre, Dakar).

Le chapitre sur la Provision fait état de ces structures, rappelons que les AEMO ont été crées en 1974 avec comme objectif de rééduquer les mineurs en danger en les maintenant dans leur milieu de vie naturel (DESPS, 1993, 3). Pour se faire les AEMO s’articulent autour des points suivants :

  • accueil, entretien, orientation et animation pédagogique dans les prisons;
  • observation et rééducation dans le milieu naturel.

Les chiffres de 1992 indiquent que 457 enfants/jeunes (l’âge limite est de 25 ans) bénéficient du soutien de 65 éducateurs spécialisés à l’échelle nationale. D’autre part il convient de souligner qu’il y a une tendance à la suppression de l’internat. Ceci dit, la DESPS accorde une priorité à la prévention qui permet d’entrer en relation avec un nombre plus important de jeunes à haut risque à moindre coût; ces jeunes demeurant dans leur milieu d’origine.

 

Tableau 50: Personnels et Enfants placés dans les AEMO et CS

CPS CAS EB CAS NIAN CS CAMBE CS Pikine CS Thies CS Akanide AEMO Dakar AEMO Thies AEMO Diourbel AEMO St.Louis AEMO Kaolack AEMO Zif AEMO Louga AEMO Tambacouda
Coordinateur 1 1 1 1 1 1 1 5 1 1 1 1 1 1 1
Education spécialisée 0 3 8 5 2 6 2 27 6 2 3 1 2 2
Autres 0 2 3 8 1 8 4 2 8 3 1 0 0
No. garçons 17 547 340 41 115 53 55 54 23 11
No. filles 0 324 200 34 83 6 0 2 0 0

D’après le Tableau 50, 2 851 enfants/jeunes et 26 éducateurs spécialisés fréquentent les centres sauvegardes. Ceci démontre à première vue une insuffisance de personnel éducatif (plus de 109 enfants par éducateur).

 

Activités de réinsertion

Selon le bilan de 1994, il existe à la Direction de l’Action Sociale, une Division de l’Education Non-Conventionnelle et un projet ‘Enfance en Situation Particulièrement Difficile’, dotés de trois assistants et deux aides sociales. La DAS, en collaboration avec les institutions d’éducation non conventionnelle, appuie socialement les jeunes des familles défavorisées, victimes de déperditions scolaires et qui souhaitent poursuivre leurs études. Ainsi en 1994, 332 cas sociaux ont été inscrits dans différentes institutions (Tableau 39/49).

 

Tableau 51: Activités de réinsertion de la DAS, 1993

Nombre de cas sociaux Institutions Type de formation
150 Association d’Aide pour la Formation Professionnelle (ASAFIN) Professionnelle
150 Association Sénégalaise pour la Formation Professionnelle et le Perfectionnement (SAFPA) Professionnelle
20 Centre d’Entre-Aide Professionnelle Pour la Promotion de l’Enfance (CEPPE) Professionnelle
7 Centre Social de Formation Professionnelle (CSOPF) Professionnelle
5 Enfance et paix Cours élementaire

 

Ces informations ne nous renseignent pas sur les domaines d’activités des Centres de Formation Professionnelle et sur la répartition des cas sociaux selon le sexe, l’âge etc.

 

Appui aux daaras

Dans le cadre des activités d’appui ponctuel, la DAS en 1994 a distribué la somme de

25 483 000 FCFA ($50,966 US) à 189 daaras répartis dans 10 régions du pays pour une population de 1 5000 talibés (c’est à dire $4 par talibé). Ainsi sur un total de 278 dossiers, 189 ont pu être subventionnés. Ce financement a permis à la DAS de contribuer à l’amélioration des conditions d’apprentissage des talibés, un des groupes les plus exposés à l’exploitation économique. En effet, dans une étude effectuée par l’ONG Plan International à Pikine (commune populaire qui accueille des immigrants dans la région de Dakar), on note que ‘les talibés mendiants constituent le groupe le plus important en nombre dans les daaras. Ils sont âgés de 5 à 18 ans et consacrent au moins cinq heures par jour à la mendicité’ (Gueye et Diagne, 1993).

On peut également noter dans le Plan d’Opérations du Programme de Coopération en Faveur des Enfants et des Femmes au Sénégal entrepris par le gouvernement et l’UNICEF pour la période 1992-1996:

Les enfants travailleurs, les enfants de la rue et les talibés mendiants … constituent la majorité des enfants en situation difficile. Malgré l’absence de statistiques, il est estimé que parmi eux les talibés représentent la catégorie la plus importante. Ces enfants vivent dans des conditions extrêmement précaires, ne recevant qu’un minimum d’éducation et de nourriture, et presque aucun soin de santé, souvent abandonnés par leurs parents qui les confient aux marabouts (maîtres religieux) qui les poussent à mendier (UNICEF, 1991).

Le phénomène des talibés est regardé par ces organisations de bien-être comme un fait particulièrement alarmant. Le gouvernement en collaboration avec l’UNICEF cherche à:

améliorer les conditions de vie et l’instruction de 10 000 talibés en milieu urbain et de 10 000 autres en milieu rural ainsi qu’à obtenir plus de données sur les enfants en circonstances difficiles en général. Il s’agit d’un programme qui comprend deux projets dont le premier vise à restaurer les droits fondamentaux des enfants et à lutter contre leur analphabétisme; le deuxième essaye de combler la lacune d’information par l’étude et la recherche (ibidem).

 

Tableau 52: Répartition des subventions des daaras par région

Régions Nombre de daaras Montant (CFA)
Dakar 37 10 707 000
Diourbel 26 2 950 000
Fatick 10 643 000
Kaolack 39 2 635 000
Kolda 6 415 000
Louga 11 2 673 000
St. Louis 39 3 965 000
Tambacounda 2 150 000
Thiès 13 1 140 000
Ziguinchor 6 405 000
Total 189 25 483 000

 

Aide aux orphelins

Quatre-cent-dix neuf enfants ont été secourus moyennant un montant global de 10 000 000 FCFA ($20 000 US, $47 par enfant). Sur 450 dossiers, 243 ont été satisfaits soit un taux de 54% (DAS, 1994, p.25).

 

Tableau 53: Attribution des secours aux enfants orphelins par région

Régions Dossiers retenus Enfants secourus Montant (CFA)
Dakar 134 224 5 304 000
Diourbel 10 20 480 000
Fatick 07 12 288 000
Kaoloack 11 20 496 000
Kolda 07 14 336 000
Louga 07 14 336 000
Saint-Louis 16 33 792 000
Thiès 41 60 1 440 000
Tambacouda 07 16 384 000
Ziguinchor 03 6 144 000
Total 243 419 10 000 000

Source: DAS, 1993

 

Il n’apparait nulle part dans les informations disponibles de la DAS, concernant les appuis ponctuels (aides aux orphelins et appuis aux daaras) des mesures d’accompagnement qui vont permettre de vérifier si les bénéficiaires ont vraiment profité de ces mesures sociales. D’autre part, même si on constate une absence de statistiques concernant les orphelins, on peut affirmer que ces aides ne touchent qu’une infirme minorité d’entre eux.

 

Les mesures sociales: Actions des associations de terrain

Au Sénégal, les systèmes de solidarité et d’entraides traditionnels sont encore fonctionnels malgré la croissance urbaine d’une part et la pauvreté accrue par les politiques d’ajustement structurel d’autre part (on note des changements dans les daaras). On observe une tendance à la multiplication d’associations de quartier surtout chez les femmes et les jeunes, ainsi que les associations villageoises. Il serait d’ailleurs intéressant de mener des recherches dans ce domaine car on peut s’apercevoir dans plusieurs quartiers que des associations de jeunes gens prennent progressivement en charge les enfants en situation difficile (Guèye, Diagne et Sène, 1993). Selon la DAS, “les centres sociaux privés constituent dans leur fonctionnement des prolongements des CPRS. Ils contribuent efficacement à la mise en oeuvre de la politique sociale” (DAS, 1994, p.11). Sur 13 demandes d’autorisation d’ouverture de centres en 1994, cinq ont été satisfaites, deux rejetées et six en instance. Ces centres dispensent un enseignement en arts ménagers pour les filles, préparent garçons et filles aux examens officiels et livrent parfois un enseignement technique aux garçons (menuiserie, soudure, mécanique auto, électricité etc). Malheureusement, compte tenu du temps consacré à l’étude des données nous n’avons pas pu faire de collecte au niveau des quartiers.

 

(iii) Les mesures sociales

 

Les mesures sociales: ONG

Nous nous proposons de citer dans ce rapport quelques ONG locales, le manque de temps nous empêchant de faire une collecte des informations plus complète à ce stade de l’étude de cas. Dans l’avenir le Projet des Indicateurs pourra élaborer une typologie des ONG qui interviennent contre l’exploitation économique des enfants, avec pour objectif une meilleure analyse de leur fonctionnement. Cependant on peut noter une distinction entre par exemple:

  • les activités dirigées vers le bien-être et la provision de services;
  • les approches qui se centrent sur l’éducation et la lutte contre l’analphabétisme;
  • et les activités d’appui à la promotion des auto-organisations d’enfants travailleurs et l’amélioration de leurs conditions de travail.

 

Environnement et Développement en Afrique (ENDA-Jeunesse/Action)

ENDA est une ONG internationale dont le siège se trouve à Dakar. L’équipe d’ENDA-Jeunesse Action s’occupe, la plupart du temps, des problèmes des enfants et des jeunes économiquement exploités. Cette ONG intervient en faveur des enfants qui excercent des petits métiers tels que les chargeurs de briquets à gaz, les cireurs ambulants, les porteurs de marches, les employés de maison et les accompagnateurs de touristes au niveau de Dakar. ENDA a commencé une collaboration avec certains chercheurs de l’ORSTOM pour un appui parallèle hors de Dakar. Les activités de soutien à ces groupes sont en général liées au travail mais nécessitent l’acquisition d’autres notions (Jeuda 78, 1990). Il y a trois types d’activités dont:

  • le soutien direct (formation-production, activités socio-culturelles, services en matière de santé et de protection juridique);
  • le soutien indirect à travers des actions de partenariat avec les associations de quartier;
  • les activités d’organisation et de campagnes, aux niveaux national et régional.

En plus de ce soutien, ENDA effectue des recherches sur les enfants et jeunes travailleurs et en communique les résultats.

 

Association pour une Dynamique de Progrès Economique et Social (ADPES)

Tout d’abord, il est à souligner que l’ADPES qui est une ONG nationale, a été créée à partir de l’équipe Terre des Hommes France, section d’une ONG internationale. L’ADPES mène des activités pour la promotion des apprentis et l’amélioration de leurs conditions de vie. C’est pourquoi deux enquêtes ont été effectuées en mars 1982 et mai 1983 auprès de 50 chefs d’ateliers et 150 apprentis. L’exploitation des résultats de ces deux enquêtes a conduit à des journées d’étude et de réflexion organisées conjointement avec des artisans et des apprentis en collaboration avec certaines structures publiques et privées qui interviennent dans ce domaine. Des rencontres-échanges développés tout au long de l’année 1983 ont permis à l’acteur collectif de constater:

  • la très longue durée de la formation des apprentis;
  • la non valorisation de la formation;
  • la non maîtrise d’une technologie qui pourrait intégrer des centres de formation professionnelle et technique d’état ou privées;
  • le manque de mesures de sécurité dans les ateliers.

A cet effet, un projet expérimental a été conçu en collaboration avec la Chambre des Métiers de Dakar, structure officielle chargée par l’état Sénégalais de la promotion de l’artisanat dans la région: Projet d’Amélioration de la Formation des Apprentis et d’insertion des jeunes formés dans la vie productive (PAFA).

Les objectifs de PAFA sont les suivants:

  • réduire la durée de la formation;
  • améliorer le contenu de la formation en y incluant des notions théoriques;
  • réinsertion des apprentis après la formation par corps de métiers (ADPES, 1993, 15).

Par le biais de la Chambre des Métiers, ce projet a reçu le soutien de deux centres techniques de l’état (le Centre de Qualification Professionelle et le Lycée Technique Maurice de la Fosse) dont l’accès a toujours été difficile aux apprentis et aux maîtres artisans d’ateliers traditionnels dont le niveau d’instruction est parfois relativement bas. L’Association Sénégalaise pour la Formation Professionnelle et le Perfectionnement des Adultes (AAFIN) a aussi collaboré à ce projet.

Le programme de formation est destiné à 75 apprentis dans cinq corps de métiers (maçonnerie, couture, mécanique automobile, menuiserie métallique et bois). Il dure deux ans et demi. Les apprentis restent toujours dans leur atelier d’origine, mais deux fois par semaine assistent à des cours dans des centres techniques. Ces cours adaptés au niveau d’instruction des apprentis comprennent essentiellement des notions techniques relatives au métier considéré mais aussi des notions de dessin industriel et de calcul professionnel. Sur un total de 75 apprentis, 49 ont pu achever la formation, 26 ayant abandonné pour diverses raisons: manque de disponibilité (surcharge de travail), difficultés de transport (pour se rendre aux centres de formation) etc.

L’ADPES, dans le cadre du Projet d’Insertion des Jeunes Artisans de Dakar (PIJAD) qui est une continuation du travail du PAFA, a formé 49 maîtres artisans en GIE et les a dotés des moyens nécessaires pour mener des activités productives suivant le corps de métier et aussi pour prendre en charge la formation d’autres apprentis (ADPES, 1993, 16).

 

Mesures sociales: Les mécanismes traditionnels

(a)L’école coranique

Selon l’UNICEF:

L’institution coranique est pratiquée par les daraas. On ne dispose … d’une quantification de leur couverture, mais on peut affirmer que presque tout enfant musulman au Sénégal reçoit une instruction coranique et que 80% de ceux-ci la reçoivent dans un daraa (Gouvernement du Sénégal- UNICEF, 1983, 82).

 

(b) Les apprentis

L’apprentissage se base sur un mécanisme traditionnel et régional, qui réside d’une part dans la socialisation et l’économie familiale, et d’autre part dans le système de caste.

La société sénégalaise connait encore aujourd’hui une forte persistance de la stratification fondée sur le métier: “le cas des bijoutiers, des cordonniers et des forgerons mérite d’être cité en exemple… La famille est le vivier dans lequel se recrutent les apprentis et l’ambiance familiale se retrouve à l’atelier, souvent faisant partie de la concession” (Sene, 1993, p.21). Les enfants sont parfois recrutés dès l’âge de six ans. Il y a donc une prise en charge familiale de la formation selon un principe héréditaire.

Aujourd’hui, le mode de recrutement s’est étendu aux fils d’amis et de voisins: “Ce phénomène constitue la principale source d’apprentissage offerte aux enfants et par conséquent représente l’essentiel de l’offre d’apprentissage puisque les seuls établissements de formation professionnelle restant présentent des limites que ne sauraient combler les initiative privées dans ce sens” (ibid, p.4). Comme illustration, on peut reprendre les résultats de Zahrour à partir d’une étude réalisée pour le compte de l’USAID en 1989 et cités par Sene à savoir: sur 3 485 micro-entreprises de production, de services et de commerce recensées à Dakar on dénombrait 18 708 employés dont 12 729 apprentis et aides familiales soit 10 317 apprentis et 2 412 aides familiales. Ces chiffres démontrent bien qu’il y a un rôle important joué par les micro-entreprises du secteur informel dans la formation des jeunes. On sait aussi qu’il existe une forme d’exploitation économique des enfants qu’illustre, entre autres, la durée de la formation. Les enfants contribuent très fortement à la production mais ne sont pas pris en charge pour la plupart sur le plan médical et en ce qui concerne les frais de transport.

On note à ce propos quelques caractéristiques de l’apprentissage dans le secteur informel soulignées dans le rapport du séminaire sur le travail des enfants au Sénégal, à savoir:

  • les situations difficiles auxquelles l’enfant est confronté;
  • la caractère inachevé de la scolarisation des enfants, voire l’absence de scolarisation;
  • la marginalisation de l’enfant, sous l’angle de l’apprentissage, dûe à l’absence de relation parent-maître d’apprentissage, qui met directement l’enfant en rapport avec un milieu et un ensemble de relations avec lesquelles il est peu familier et peu armé pour bien s’y situer;
  • l’importance des risques sur le plan professionnel, qui pèsent sur les apprentis;
  • l’inexistence d’un système de protection adéquat pour les enfants;
  • l’absence d’horaires de travail;
  • l’absence de rémunération (BIT,UNICEF, 1994, p.15).

Ces quelques éléments permettent de voir qu’effectivement les mécanismes traditionnels peuvent être à double face. Le cas des talibés et des apprentis, illustre les changements socio-économiques, conséquences de l’ajustement structurel, qui les ont mis dans une position de stress extrême et represente un point de focus pour élaborer des indicateurs de suivi relatifs aux droits des enfants les plus défavorisés.

 

Article 19: La protection contre les mauvais traitements

Sur le plan législatif on peut dire que les articles cités plus haut concernant le déplacement et le non retour illicite peuvent, sous certains aspects, être rangés dans la catégorie de la protection contre le mauvais traitement.

F.K.Sall souligne que la maltraitance peut être perçue sous deux formes: l’atteinte à l’intégrité physique et la négligence ou l’agression morale (Sall, 1994, p.6)

Selon Sall on peut ranger dans la première catégorie:

  • les coups et blessures les privations de nourriture et les garrotages que l’on retrouve dans les daaras;
  • les corrections physiques dans les établissements d’enseignement primaire;
  • la violence domestique courante, l’excision, les viols, l’inceste et les abus sexuels qui s’exercent parfois à l’intérieur de cellules familiales.

Dans la seconde catégorie on trouve, toujours selon Sall:

  • l’exploitation des enfants par le travail;
  • l’incitation à la mendicité;
  • l’incitation à la prostitution;
  • l’incitation à la vente et à l’usage de la drogue;
  • la consommation du mariage sur des jeunes filles pré-pubères.

Avant de procéder à cette catégorisation, l’auteur mentionne ceci:” Dans le droit sénégalais, il existe un ensemble de dispositions visant à assurer la protection des enfants contre les abus, les mauvais traitements, les agressions physiques ou morales, l’exploitation… Cependant, il existe toujours un écart entre l’existence des textes et leur application dans l’intérêt de l’enfant” (Sall, 1994, p.5). Pour illustrer ce propos, on peut citer sur le plan législatif l’Article 298 du Code Pénal qui stipule:

Quiconque aura volontairement causé des blessures ou porté des coups à un enfant de moins de 15 ans, ou qui l’aura volontairement privé d’aliments ou de soins au point de compromettre sa santé ou qui aura commis à son encontre toute autre violence ou voie de fait, à l’exclusion des violences légères, sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 25 000 à 200 000f.

Si les différentes sortes de violence ou de privations sus-citées entraînent une maladie ou une incapacité totale de travail de plus de 21 jours ou s’il y a eu préméditation ou guet-apens, la peine sera de trois à sept ans d’emprisonnement et de 50 000 à 250 000f d’amende.

Si le coupable est le père ou la mère ou tout autre parent ou personne ayant autorité sur l’enfant ou ayant sa garde, la peine d’emprisonnement sera de cinq à dix ans.

Dans les cas prévus par le présent article, le coupable pourra, en outre, être privé des droits mentionnés en l’article 34 pendant cinq ans au moins et dix ans au plus à compter du jour où il aura subi sa peine”.

Signalons que dans le cadre de l’Article 34, il s’agit des droits civiques, civils et de famille.

Le Code Pénal, poursuit dans l’Article 299 qu’en cas de mutilation ou de mort, la peine sera celle des travaux forcés à perpétuité ou celle appliquée aux coupables d’assassinat. Or, on sait qu’au Sénégal les pratiques de mutilation sexuelle sont courantes et ne sont pas punies.

E. Michelet, dans son analyse de l’agression physique (Michelet, 1988, p.15) affirme que “la clitoridectomie ou excision n’est pas à classer dans les violences sexuelles, compte tenu de l’analyse de l’élément moral, mais dans les violences physiques, comme outrage à l’intégrité de la personne”. En fait, selon cet auteur, “du point de vue de la victime, si elle a un discernement suffisant, l’excision et l’infibulation pourraient s’apparenter au viol, atteignant l’adolescente dans sa sexualité, dans sa dignité et dans son être de femme, sur le plan physique, comme sur le plan symbolique et psychologique”.

Cette réflexion indique les limites du législateur sénégalais par rapport aux mesures de protection physique nécessaires à l’enfant contre certaines pratiques socio-culturelles.

D’autre part, on peut lire dans un article de Sud Quotidien de Mars 1994 à propos de l’infanticide:

On épiloguera longtemps sur le pourquoi de ce fléau des temps modernes, on ne parvient toujours pas à cerner les contours de l’infanticide, à en prévenir la propagation et à en éviter les douloureuses conséquences sociales et morales. Il est presque établi que les femmes qui tuent ou jettent les bébés sortis de leurs entrailles ne le font pas de gaité de coeur, elles sont plus souvent victimes qu’actrices. (Diop, 1995).

Les éléments que nous venons de citer indiquent la cruauté d’une réalité subie par de jeunes adolescentes. Leurs conséquences échappent totalement à la maîtrise de la société et des institutions chargées de veiller à la survie et au développement de l’enfant. Notons que le Code Pénal en son article 285 assimile l’infanticide au meurtre et à l’assassinat et l’article 287 prévoit la peine de mort pour tout coupable d’assassinat. Sans vouloir entrer dans le débat sur la peine de mort, qui, soit dit en passant n’est certainement pas la solution idéale pour régler les problèmes sociaux, on observe dans ce cas une distance entre le texte de loi et son application.

Concernant le viol, l’Article 230 du Code Pénal déclare:

Quiconque aura commis un viol sera puni d’un emprisonnement de cinq à dix ans.

Si le délit a été commis sur la personne d’un enfant au-dessous de l’âge de 13 ans accomplis, le coupable subira le maximum de la peine.

Quiconque aura commis ou tenté de commettre un attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre des individus de l’un ou l’autre sexe sera puni d’une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans.

Si le délit a été commis sur la personne d’un enfant au-dessous de l’âge de 13 ans accomplis, le coupable subira le maximum de la peine.

L’Article 321 du même code précise que “si les coupables sont les ascendants de la personne sur laquelle a été commis l’attentat… la peine sera celle d’un emprisonnement de dix ans. D’après Michelet, “ce qui pose problème, c’est la disparité des sanctions…les juges manifestent trop d’indulgence envers les violeurs à une époque où les viols d’enfants sont de plus en plus nombreux” (Michelet 1988, p.19).

Une autre réflexion du même auteur mérite d’être soulignée, à savoir: ” deux situations particulières sont à signaler, l’inceste et la pédophilie; l’inceste est un sujet tabou dans tous les pays…les faits divers des journaux et les décisions de justice n’en faisant pas état, il est difficile de se prononcer sur l’inceste”. Cette situation révèle l’écart extraordinaire entre le texte de loi et la réalité, disons la non application des instruments juridiques sur l’une des situations les plus terribles que peut vivre un enfant. Heureusement, peut-on dire, les langues se délient peu à peu et ainsi on peut lire dans les colonnes du Sud Quotidien 1 du 17 mars 1995: “Le père de l’enfant, c’est mon père” B…, une frêle petite fille de 16 ans, portant un enfant sur le dos, allait cherchant de l’aide pour soigner son bébé qui saignait des oreilles depuis une semaine”. Nous faisons l’hypothèse que ces révélations constituent un indicateur de l’ampleur du phénomène.

Pour ce qui est de l’exploitation économique et de la mendicité nous rappelons simplement que l’article 140 du Code du Travail fixe l’âge minimum à 14 ans mais cela n’est pas respecté et l’article 245 du Code Pénal précise que “seront punis d’un emprisonnement de 3 à 6 mois ceux qui laisseront mendier les mineurs de moins de 21 ans soumis à leur autorité”. Mais, comme le souligne D.S. Fall: “Devant le nombre important de familles dont les ressources sont insuffisantes, pour subvenir aux besoins de tous, l’enfant est souvent amené à se débrouiller seul et il est certain que dans cette recherche de moyens de subsistance, il va être confronté dans la rue à certaines situations (exploitation, brutalités)” (Fall, 1990, p.16).

Au Sénégal, on peut noter une frappante tendance à l’accroîssement du nombre des enfants de la rue. Dans ce phénomène, les talibés constituent une part très importante. Il s’agit comme le dit également D.S.Fall des enfants envoyés dans les rues par leurs marabouts pour mendier (Fall, 1990, p.12). A ce propos, S.M. Mbaye et A.S. Fall considèrent que ” le phénomène d’enfants de la rue ne cesse de se développer malgré la sensibilisation qui se développe de plus en plus; selon le rapport du gouvernement du Sénégal et de l’UNICEF, en 1993, on dénombrait à Dakar 2 000 à 3 000 enfants de la rue” (Mbaye et Fall, 1994 p.12). Dans leur réflexion, les auteurs indiquent que les talibés mendiants proviennent tous de familles à faibles revenus, à savoir:” 55% ont des parents agriculteurs,éleveurs ou pêcheurs, 30% sont issus de familles de vendeurs ambulants, étalagistes, petits marabouts ou enseignants en arabe, employés ouvriers ou artisans. Ceci indique donc que l’incitation à la mendicité ne peut être imputée aux seuls marabouts mais que son taux s’accroît, probablement, de manière corrélative à la dégradation des revenus des populations. D’autre part, Mbaye et Fall notent que ” 58% des talibés envoyés par des marabouts doivent rapporter chaque jour 100 F avec une variation allant de 50 à 500 F CFA”. Cela constitue pour nous un indicateur précis d’exploitation économique.

Par ailleurs, selon l’auteur cité plus haut (D.S. Fall 1990, p.10), “La législation pénale s’attaque à l’incitation de mineurs à la débauche (Article 324), aux exemples pernicieux dont l’enfant peut être témoin dans la résidence familiale (Article 350) et au proxénétisme à l’égard d’un mineur (Article 324)”. Et Fall de poursuivre: “A l’heure actuelle, il convient de ne pas négliger l’essor de la prostitution scolaire, laquelle prend des proportions de plus en plus inquiétantes, malgré la législation sénégalaise qui interdit la prostitution des mineurs dans son Article 327 bis du Code Pénal”.

Enfin, il nous faut souligner que le mauvais traitement à l’égard des enfants commence à être médiatisé tel l’exemple de ce garçon de 12 ans, paru dans le quotidien Le Soleil du 13 février 1995, qui maltraité par sa tante a décidé d’abandonner l’école et de disparaître, depuis ce jour personne n’a eu de nouvelles de lui.

 

Article 35: La protection contre la trafic d’enfants

Article 36: La protection contre toute autre forme d’exploitation

Comme nous l’avons indiqué dans la partie relative au déplacement et non retour illicite, l’enlèvement de mineurs est réglementé par les Articles 334, 346, 347, 348 et 349 du Code Pénal. Seulement, il nous faut dire qu’il peut y avoir une nuance entre trafic et enlèvement. Il nous faut noter également que le Sénégal est signataire de plusieurs traités et conventions au niveau international contre le rapt, le trafic et l’esclavage.

Pour compléter cette partie il est nécessaire d’avoir accès, entre autres, aux archives des tribunaux. Comme nous l’avons dit plus haut, nous n’avons pas la prétention d’avoir abordé l’ensemble des questions liées au regroupement familial et à la protection contre l’exploitation. Cependant les données déjà réunies, bien que limitées, permettent d’avoir une vue sur les divers problèmes qui nous intéressent. En premier lieu, on constate que sur le plan juridique il y a des lois qui protègent la famille. Mis à part quelques données quantitatives qui indiquent la tendance à la séparation de la famille et au divorce, nous n’avons pas encore de données précises en ce qui concerne les mesures administratives et sociales.

Nous remarquons de nombreux articles sur l’exploitation, mais il semble que la réalité soit différente. Beaucoup trop de violations de droits des enfants restent encore impunies, surtout en ce qui concerne les mauvais traitements.

 


 

4. LA PROTECTION DES MINORITES

Article 30: La protection culturelle des enfants issus des groupes minoritaires

Comme nous l’avons montré dans l’introduction, le Sénégal abrite plusieurs groupes ethniques. Cependant, sur le plan national, le terme de “minorité ethnique” n’a aucune résonnance particulière. Bien évidemment, on peut comprendre que cette notion revêt une signification politique dans certaines parties du monde et qu’elle doit être abordée avec prudence dans certains contextes africains. La relation entre l’identification des différences ethniques et les conflits civils est une question sensible dont les effets peuvent avoir un impact sévère sur la vie des enfants. L’identification d’indicateurs des droits de l’enfant dans ce domaine n’a pas été possible, ni appropriée dans le cadre de cette étude de cas au Sénégal. Néanmoins, l’absence de données et d’indicateurs dans ce domaine ne signifie pas une absence de problèmes.

Il existe une protection contre toute discrimination fondée sur l’appartenance ethnique à travers la Constitution. Selon l’Article 7 de la Constitution:

Tous les êtres humains sont égaux devant la loi. Les hommes et les femmes sont égaux en droit. Il n’y a au Sénégal ni sujet, ni privilège de lieu de naissance, de personne ou de famille. Auparavant, l’Article 6 stipule que la personne humaine est sacrée et que l’état a l’obligation de la respecter et de la protéger.

Il est vrai, comme le notent les auteurs du rapport initial du Sénégal adressé au Comité des Droits de l’Enfant que: “La population du Sénégal constitue un ensemble homogène riche de ses différences; elle ne connaît pas de problèmes d’autochtones ou de minorité ethnique” (1994, p.74). Le rapport de l’UNICEF consacré à l’analyse de la situation des femmes et des enfants abonde d’exemples allant dans le même sens. En effet, on peut y lire:

Le Sénégal compte une dizaine de groupes ethniques dont les plus répandus sont les Wolof, les Pular, les Seerer, les Joola, les Manding et les SoninKé. L’ethnie Wolof est la plus répandue, avec 42,7% de la population. La langue Wolof est d’ailleurs parlée par près de 70,9% des gens. Dans l’ordre, viennent ensuite l’ethnie Pular (23,7%), les Seerer (14,9%), les Joola (5,3%), les Manding (4,2%). Les autres groupes ethniques comptent pour 9,2% de la population. Le brassage ethnique, longtemps en cours, se poursuit de diverses manières: corésidence dans les mêmes habitations, quartiers ou localités de différents groupes ethniques, mariages inter-ethniques, migrations inter-régionales permanentes ou temporaires, etc. Ainsi se consolide progressivement la nation”. La société sénégalaise est fortement islamisée: 94% des sénégalais sont musulmans, contre seulement 4% de catholiques et 1,2% d’animistes.

Ces données, bien qu’elles indiquent une tendance à la fusion des diverses ethnies, ne constituent pas tout à fait une garantie de la protection culturelle des enfants, vu la situation de conflit dans le sud du pays, par exemple.

 


 

5. LA PROTECTION DES REFUGIES

Article 22: La protection des enfants réfugiés

Au Sénégal, l’admission des réfugiés et le statut qui leur est accordé sont réglementés par la Loi 67-28 du 24 juillet 1968. L’état a également ratifié la Convention Internationale relative au Statut des Réfugiés du 28 juillet 1951 (Rapport Initial, p.51) ainsi que la Convention de l’OUA de 1969 (HCR, 1994 p.5). Selon le rapport de l’UNICEF de Mars 1995, la population des enfants réfugiés au Sénégal provient essentiellement de Mauritanie à la suite du conflit qui a opposé les deux pays en 1989. D’après le HCR on dénombre un total de 60 000 réfugiés. Les enfants représenteraient donc 16,46%. La plupart d’entre eux sont placés en milieu rural et

“vivent dans des camps avec leur famille dans des conditions matérielles et psychologiques extrêmement précaires et ce malgré les efforts du Gouvernement et de l’assistance internationale dans les domaines de la santé, de l’assainissement, de la nutrition et de l’éducation. L’éducation formelle ne touche que 31,6% de ces enfants” (UNICEF, 1995 p.149).

A titre illustratif, le HCR a consacré 2 millions de dollars en 1989 à un programme d’urgence et 3,7 millions de dollars en 1990 et 1991 à l’éducation primaire et aux projets générateurs de revenus (HCR, 1994 p.7).

La grande majorité de ces enfants se trouve dans la région et St. Louis. Ils sont pour la plupart âgés de 0 à 7 ans, soit 61,07% (Tableau 56/51).

Malgré leur faible désagrégation, ces données indiquent un souci d’identification et de protection spéciale des enfants. Nous avons établi des pourcentages afin de mieux cerner la répartition des enfants.

Il nous faut souligner aussi qu’aux côtés du CICR, du HCR, du PAM, de l’UNICEF et de la Communauté Européenne, beaucoup d’ONG ont contribué à l’amélioration des conditions de vie dans les 250 sites de réfugiés le long du fleuve dont: l’OFADEC, CARITAS, Médecins du Monde, Médecins sans Frontières (Hollande), Enda-TM, et la Croix-Rouge Sénégalaise.

 

Tableau 54: Répartition des enfants réfugiés par groupe d’âge et par région, 1990

Région 0-7 ans 8-15 ans Total %
Dakar 256 167 423 4,26
St.Louis 5179 3287 8466 85,28
Thiès 233 147 380 3,83
Louga 9 4 13 0,13
Kaolack 3 1 4 0,04
Diourbel 8 3 11 0,11
Ziguinchor 2 0 2 0,02
Tambacounda 364 253 617 6,22
Fatick 2 0 2 0,02
Kolda 3 6 9 0,09
Ensemble 6059 3868 9927 100
% Ensemble 61,04 38,96 100 100

Source: UNICEF, d’après le Commissariat aux Personnes Déplacées HCR, 1990.

 


 

6. LA PROTECTION CONTRE LA DROGUE

Article 33: La protection contre l’usage illicite et le trafic de drogue.

Au Sénégal, les Articles 52 et 53 du Code Pénal d’une part et les articles 593 à 607 du Code de Procédure Pénale d’autre part constituent les fondements de la primauté de la mesure éducative sur la détention.

Dans sa parution du 22 février 1995, Jeune Afrique, aborde la question de la drogue au Sénégal et surtout de son évolution compte tenu de la crise économique. D’emblée, l’auteur de l’article illustre son propos par l’exemple d’un petit orphelin, projeté dans la misère de la rue.Des milliers d’enfants sont voués au même sort, pour diverses raisons. Il se drogue en reniflant un chiffon imbibé d’essence, de colle ou de vernis à ongles. Cette drogue lui procure une “ivresse intense mais de courte durée” peut être obtenue avec 10 F CFA. Analysant la situation, l’auteur donne des éléments de comparaison tels que le kilo d’arachides qui rapporte 100 F CFA, deux cents fois moins d’un kilo de chanvre ce qui bien évidemmment favorise l’essor de la production de drogue. D’autre part, il déplore le “tout répressif qui caractérise l’approche policière. Enfin, il conclut en donnant l’exemple d’un Centre de Protection, créée dans la banlieue de Dakar avec le soutien du Service Français de Coopération en Matière de Police sur un montant de 35 millions de F CFA. Cette initiative dira-t-il, vient s’ajouter à la semaine de lutte contre la drogue, organisée tous les ans, par la Commission Nationale des Stupéfiants, présidée par le Ministre de l’Intérieur, aux programmes de sensibilisation, sous forme d’expositions itinérantes, dans les écoles et les casernes. Malgré ces efforts de l’état et de quelques ONG comme Jarma (spécialisée dans la lutte contre la drogue et le SIDA), on observe dans la vie quotidienne, une aggravation du phénomène, ce qui indique une faiblesse dans la mise en oeuvre des mesures de protection des enfants (Kpatindé, 1995).

Le tableau 55 nous renseigne sur les saisies de drogue par la police en 1993

 

Tableau 55: Répartition des saisies de drogue selon la nature, le nombre et la quantité

Nature Nombre Quantité
Cannabis (herbe) 606 8 966 kg
Héroïne 43 29,3 kg
Cocaïne 31 4,1 kg
Morphine 1 8,6 kg
Extrait de Pavot 1 10 gr
Cannabis (résine) 1 2 kg
Substances psychotropes 88 8 090 comprimés

Source: Police Judiciaire, 1994

 

Il y a donc eu pour la seule année 1993 un total de 771 saisies. Malgré le fait que nous ne disposons pas encore de données sur les années précédentes, ces chiffres indiquent l’ampleur du phénomène.

Selon D.S.Fall, les mesures de protection des enfants contre la drogue sont insuffisantes “car, si certains jeunes se droguent avec le cannabis et les psychotropes, d’autres surtout les enfants de 8 à 13 ans utilisent très souvent les solvants tels que la colle et les diluants cellulosiques et s’adonnent ainsi à une toxicomanie particulière appelée “gainz” (Fall, 1990, p.9).

Dans un article du magazine Interdépendances de mai-juin 1992 (n[ring]9, p.7) intitulé “Les enfants du gainz” on peut lire:

Ils errent en bande dans les villes du Sénégal, sniffant des solvants. Les consommateurs de gainz, enfants perdus d’une société en crise économique et culturelle, sont rejetés par elle. Il n’existe aucune prise en charge pour ces enfants considérés avant tout comme des délinquants ou des pervers… Ce type de “défonce” aux effets immédiats, pratiqué par des enfants aux quatre coins de la planète, s’est fortement développé au Sénégal, au sein des groupes de jeunes âgés de 8 à 20 ans.

Il faut dire toute de même, malgré l’ampleur du phénomène, qu’il existe une certaine prise en charge fut-elle insuffisante comme le note Fall en 1990.

Après analyse des informations recueillies auprès de la Direction de l’Education Surveillée et de la Protection Sociale (DESPS), on observe que parmi les enfants sous protection, 6,2% le sont pour cause d’usage et/ou trafic de drogue. En plus, et comme le note l’auteur de l’article cité plus haut, il existe au Sénégal une Commission Nationale Anti-drogue, une journée nationale de lutte contre la toxicomanie, et le travail de terrain mené par des associations comme Jamra, Enda, Terre des Hommes et le Centre de Bopp. Ces institutions mènent un travail de prévention surtout, mais n’ont pas pu nous fournir de données chiffrées. Par contre, nous savons que sur une population de 2191 mineurs pris en charge par les structures de l’éducation surveillée, 13,74% seulement ont un dossier judiciaire. Le reste des enfants est accueilli à titre préventif et de protection. En ce qui concerne la réinsertion, nous n’avons pas pu obtenir de données. Enfin, il convient, comme le souligne Fall à propos du “gainz” de prendre des mesures concernant les produits ne figurants pas sur la liste des stupéfiants, et dont il est difficile d’interdire ou de réglementer la vente” (Fall, 1990).

Les informations existant sur l’usage de la drogue sont plus orientées sur les substances que sur leurs utilisateurs. En ce qui concerne l’usage de la drogue par les enfants, il faut prendre l’enfant comme unité d’observation et d’analyse.

 


 

 

Conclusions

L’information disponible ne décrit pas suffisamment, les droits à la protection. Dans plusieurs cas, la situation est rendue plus complexe par une pauvreté de conceptualisation et l’absence de méthodes scientifiques dans la recherche et le traitement de l’information. On a l’impression que la violation des droits de protection retient moins l’attention des décideurs que celle des droits de provision. Grâce à une meilleure exploitation des données existantes et un léger aménagement dans les systèmes de collecte gouvernementaux, il serait possible de développer des indicateurs dans ce domaine avec la typologie employée dans le dernier chapitre. Il y a un besoin enfin, en ce qui concerne la protection, de centralisation et de systématisation des données existantes, de meilleures définitions et conceptualisations, ainsi que de méthodes de recherche affinées.

La recherche dans ce domaine est orientée vers la production d’études basées sur des échantillons limités et des questionnaires traditionnels. Il n’y a pas une pratique constante et une réconciliation des divers ensembles de données en vue d’élaboration des modèles susceptibles de fournir des estimations valables pour l’ensemble du pays. Les futures études de cas devront relever ce défi.

 


 

[Chapitre IV] [Index]